Reprendre le contrôle des événements politiques
Depuis la défaite référendaire de 1995, le mouvement indépendantiste est en déroute. Les uns ont quitté le bateau péquiste à la dérive, les autres remettent tout en question, jusqu'à l'article un du Parti Québécois. Les attaques basses et mesquines de nos ennemis politiques restent sans grande réponse. Notre mouvement n'est plus en mode offensif.
Ce n'est pas normal... Que pouvons-nous faire pour reprendre le contrôle des événements politiques?
Maîtriser le débat
L'organisation d'une assemblée constituante, chargée de rédiger la constitution de l'État québécois souverain dont nous revons, nous permettrait de transporter le débat sur la question nationale là où nous ne pouvons le perdre, sur le terrain des idées philosophiques, des ideaux. Il nous faut maîtriser le débat en en étant l'initiateur, en posant les questions nous-même.
Nous ne devons pas nous gêner pour discuter ouvertement de ce nouvel État que nous voulons bâtir. Dans le cadre d'un grand débat portant sur un tel sujet, tous ceux qui veulent vraiment d'un État québécois sous-national à l'intérieur de la fédération canadienne seront rapidement noyés dans une mer de femmes et d'hommes qui ont de plus grandes ambitions pour le peuple québécois. La faiblesse des arguments de nos adversaires deviendra rapidement bien apparente et la force des nôtres résonnera comme jamais. Que peuvent la reine d'Angleterre, la monarchie canadienne et la constitution irréformable de Trudeau face à la souveraineté populaire, la république, la démocratie et le droit des peuples à l'autodétermination?
Lorsque la population québécoise sera occupée à penser un système politique nouveau, plus juste, plus démocratique, plus égalitaire, plus solidaire, les débats insignifiants sur les vaines questions de points d'impôts, de déséquilibre fiscal, de défusions et de « réingénierie » de l'État nous paraîtront bien lointains. Le peuple cessera d'etre emmerde par la question nationale.
Un grand privilège
Refondre la société québécoise en ce début de XXIe siècle c'est, avant toute chose, une chance inestimable que l'on se donne à soi-même. La plupart des États contemporains sont des républiques nées dans le sang et le chaos des révolutions et des guerres d'indépendances. Nous sommes donc plus que privilégiés : nous pouvons à notre tour réinventer le monde, mais dans l'enthousiasme serein et avec la certitude de ne provoquer la mort de personne. C'est quand même une bonne nouvelle. Mais c'est beaucoup plus encore. Nous avons à mon avis au moins trois grands avantages par rapport à toutes les autres nations qui sont déjà passé par la construction d'un nouvel état :
- Les leçons de l'Histoire
- Le progrès des sciences
- Les outils de communications contemporains
Les leçons de l'Histoire
S'il y a un avantage à ne pas être le premier, c'est bien celui de pouvoir tirer des leçons de l'expérience de ses prédécesseurs. Notre plus grand avantage est sûrement celui de pouvoir regarder ce qui s'est fait dans le passé et de conclure : « Voilà les erreurs qu'il ne faut pas répéter, les choses qu'il ne faudrait surtout pas oublier et les grands principes immuables que nous devons suivre. » Quelles leçons pouvons-nous tirer des expériences nationales passées? Que souhaiterait-on pouvoir changer dans la constitution de son pays ailleurs dans le monde s'il était possible de recommencer à zéro?
Nous savons, avec ce qui s'est passe aux États-Unis dernierement, que les pouvoirs du Président de la République doivent être restreints. Nous savons, de par notre expérience dans le regime politique britannique, que le système électoral doit être sévèrement encadrés pour ne pas qu'il soit totalement corrompu par l'argent. Nous savons que la constitution d'un État peut devenir une prison pour les générations futures si elle est mal conçue. Nous savons aussi, parce que nous avons souffert d'un retard énorme à cet égard, que la première mission sociale de tout état national est l'éducation des citoyens. Et la liste est longue. Nous avons donc l'avantage immense de profiter des experiences passes et d'en tirer des lecons.
Le progrès des sciences
Les branches du savoir humain se sont considérablement étendues durant le XIXe et le XXe siècle. Les mathématiques, la physique, la linguistique, la sociologie, la psychologie, l'économie et la politique sont autant de branches de la science qui, avec leurs nombreuses ramifications, ont fait s'étendre nos connaissances, ont fait naître tout un ensemble de théories bonnes et mauvaises. Nous avons l'avantage de pouvoir s'abreuver a tous ces savoirs.
Notre assemblée constituante devrait selon moi inviter à la convergence de toutes les connaissances humaines pour qu'elle soit en mesure de bien profiter des lumières contemporaines. Je crois important d'impliquer les communautés scientifiques et académiques québécoises et internationales à notre exercice de souveraineté populaire. En puisant à tous les réservoirs de connaissances, les idées seront très riches, les participants très nombreux et les débats captivants. Ne pas le faire serait passer à côté d'une occasion unique au monde. Nous avons la chance de faire l'Histoire, faisons la comme il faut.
Les outils de communications contemporains
Issue du progres des sciences et du perfectionnement technologique, les outils de communications auxquels nous avons acces aujourd'hui sont tres mal exploite. À une autre époque, un grand débat sur l'elaboration de notre constitution n'aurait pu impliquer directement le peuple. Il aurait été confiné à une chambre où se seraient rassemblés nos Grand Penseurs Nationaux. Ceux qui citent les Philosophes et les Gens de Lettres, ceux qui citent Rousseau, Voltaire, Montesquieu, qui évoquent la pensée de Platon ou d'Aristote, de Kant, de Marx, qui mettent des majuscules aux mots Nation et République, mais qui ne peuvent pas tout voir et tout savoir parce qu'ils ne sont après tout que des êtres humains.
500 représentants, même tous érudits, ne peuvent détenir la même quantité de savoir que 7 millions d'habitants. Si deux têtes valent mieux qu'une, il est sûrement vrai que plusieurs millions de têtes valent mieux que 500 ou 1000, surtout quand ces 500 ou 1000 font toujours parti des millions en questions. C'est bien triste et l'on blâmera les limites du cerveau humain, mais on ne peut demander à 500 personnes d'incarner toute la culture, toute la connaissance et toute l'experience d'un peuple.
Cependant aujourd'hui, grace a certaines technologies nouvelles, il est fort heureusement, un tel débat peut se faire sans cloison et puiser à même l'intelligence collective de toutes les femmes et de tous les hommes qui s'intéressent à la chose publique et qui ont des idées à exprimer. Les moyens technologiques actuels rendent la communication beaucoup plus facile et permettent à un grand nombre de personnes de participer à un débat sans être physiquement tous au même endroit en même temps.
Rendre service à l'humanité au grand complet
Serait-il vraiment raisonnable de confiner notre grand débat du millénaire aux frontières du Québec? Que les Québécois prennent la décision finale, evidement oui, mais on ne peut se permettre de ne pas entendre l'opinion de la personne qui détient la vérité que nous cherchons sous prétexte qu'elle n'habite pas le Québec. Le monde est vaste et complexe et l'on ne peut se risquer à émettre un jugement en présence d'une partie des faits. En récoltant le plus grand nombre d'opinion possible, nous réduisons, statistiquement du moins, les chances de faire des erreurs dont les générations futures paieraient le prix. Il n'y aura qu'une seule première Constitution du Québec, ne ratons pas notre coup.
Je pense qu'il faudrait être bien égoïste pour garder tout les avantages du temps présent juste pour nous. Il est de notre devoir de citoyen de faire en sorte que nos débats profitent à tous ceux et celles qui partout sur la planète se battent pour la réforme de leurs institutions démocratiques, pour des rapports égaux entre les hommes et les femmes, pour la justice sociale, pour la reconnaissance de leurs droits politiques, pour des rapports pacifiques entre les nations, bref pour sauver la planète et les humains qui y vivent.
En conclusion, je propose que l'assemblée constituante québécoise se projette sur la scène internationale de façon officielle pour qu'elle puisse bien profiter de toutes les têtes qui seront alors tournées vers nous. Nous sommes déjà des champions dans l'organisation d'événements internationaux. Il suffira de nous dépasser encore fois.
Mathieu Gauthier-Pilote,
Membre du Parti Québécois et du RIQ
Le 7 mars 2004