Le handicap du mode de scrutin actuel
De la division naît la pérennité du règne...
Un peu d'histoire
L'histoire politique du Québec est, depuis l'union des deux Canadas, remplie de moments où l'on a tenté de former une coalition nationale à l'intérieur d'un parti politique. Parce que l'on croyait impossible de faire élire des candidats indépendamment, ou parce que l'on voulait mettre un terme aux divisions politiques internes au sein du corps national, certains ont créé les coalitions suivantes :
- Le Parti national (Libéraux + conservateurs, 1871)
- L'Union nationale (Parti conservateur + Action libérale nationale, 1935)
- Parti Québécois (Mouvement Souveraineté-Association + Ralliement national + RIN, 1968)
- Union des forces progressistes (RAP + PDS + PCQ + Verts, 2002)
L'histoire politique québécoise est aussi faite de schismes au sein des deux principaux partis, les seuls ayant une véritable chance de faire élire une majorité de députés à l'Assemblée nationale, avec le mode de scrutin actuel. Parce qu'on croyait qu'il n'était plus possible de faire avancer le Canada français ou le Québec sur le plan politique à l'intérieur des grandes formations politiques existantes, on a créé les nouveaux regroupements suivants :
- L'Action libérale nationale (Paul Gouin, ancien libéral, 1934)
- Le Rassemblement pour l'indépendance nationale (André D'Allemagne en 1960)
- Le Ralliement national (René Jutras, 1966)
- Le Mouvement Souveraineté-Association (René Lévesque, ancien libéral, 1968)
- Le Bloc Québécois (Lucien Bouchard, ancien conservateur, 1990)
- L'Action démocratique (Jean Allaire, ancien libéral, 1992)
Tous ces partis politiques ont été créés car l'on croyait que les vieux partis politiques étaient inflexibles, fermés aux idées nouvelles ou encore parce que l'on arrivait à l'inévitable conclusion qu'il fallait se regrouper pour aller plus loin.
Ce n'est donc pas un phénomène nouveau que cette volonté de faire cohabiter divers courants politiques au sein d'une même organisation politique nationaliste et, plus récemment, indépendantiste. Il n'est pas nouveau non plus de voir ces tentatives échouer dans leurs objectifs les plus ambitieux, ce qui par le passé a donné lieu à de nouveaux schismes, à de nouvelles factions politiques soit-disant radicales, à gauche ou à droite du centre.
Et pourtant, plus d'un siècle et demi après la Déclaration d'indépendance du Bas-Canada, nous sommes toujours assujettis à un pouvoir politique supranational. Plus d'un siècle et demi après le début de la collaboration de certains anciens patriotes au gouvernement colonial britannique, nous sommes toujours incapables de parler d'une seule voix lorsque vient le temps de faire valoir nos propres intérêts nationaux. Nous sommes toujours incapables de faire élire une écrasante majorité de candidats progressistes comme c'était le cas du temps de Louis-Joseph Papineau et du Parti patriote. Quelle peut bien être cette force maléfique qui joue contre nous?
Un obstacle à contourner
Je ne vous cacherai pas que je ne crois pas du tout aux forces maléfiques. Je ne crois qu'à ce qui peut m'être démontré. L'histoire semble ici nous démontrer que nous souffrons, entre autres choses, des imperfections d'un mode de scrutin inique. Les opinions politiques du peuple sont multiples, nos efforts de coalitions des forces nationales échouent, et ça ne profite qu'à un seul joueur : celui qui a gagné en 1760... Plusieurs y verront le fruit de l'Indirect Rule britannique. Probablement. Mais il y a aussi le bipartisme, qui est le produit du mode de scrutin que nous utilisons. Si à une autre époque nous ne pouvions rien y faire, ce n'est plus le cas depuis au moins 30 ans.
Mon opinion est que pour réussir à mobiliser toutes les forces indépendantistes, il nous faut mettre fin au dualisme politique qui divise les forces vives du peuple québécois et empêche le plus grand nombre de candidats progressistes d'être élus à l'Assemblée nationale sous la bannière de leur choix. Comment?
En complétant la réforme de la démocratie représentative du Québec débutée par René Lévesque en 1977. En nous donnant un mode de scrutin proportionnel. Pas un mode compensatoire comme celui que les Libéraux sont en train d'inventer: une vrai proportionnelle. Cette réforme nous donnerait la possibilité de contourner l'une de nos plus grandes difficultés, soit celle de forcer tous les nationalistes à voter pour un même parti, pour une même idéologie.
Peu de temps après la création du Parti Québécois en 1968, le RIN a voté en faveur de sa dissolution pour éviter qu'il y ait compétition entre plusieurs partis indépendantistes sur la scène politique québécoise. Une telle action, suicidaire, qualifié de « pire erreur politique de ma vie » par Pierre Bourgault, n'aurait pas été nécessaire si le Québec n'avait eu une « démocratie infecte ».
C'est carrément un non-sens que de forcer la majorité d'un peuple à voter pour le même parti politique. C'est dans l'Assemblée nationale que les candidats indépendantistes, de toutes allégeances, doivent se retrouver. À l'Assemblée nationale, ils auront tout le loisir de se chamailler sur les questions budgétaires et administratives, sur les politiques de la provinces sans causer de tords au mouvement indépendantiste. Un scrutin proportionnel permettrait d'envisager une coalition gouvernementale indépendantiste composée de différents partis politiques détenant une majorité des sièges et ayant obtenu du même coup l'appui de la majorité de la population. Une fois au pouvoir à Québec, cette coalition aurait toute la légitimité qu'il faut pour mettre de l'avant un projet d'indépendance qui aurait été présenter aux citoyens lors des élections. Je préconise personnellement une assemblée constituante suivit d'un référendum.
Comment la proportionnelle peut-elle nous aider à faire augmenter l'appui à notre projet?
Bien évidemment, changer le mode de scrutin de convertira personne à la cause de l'indépendance. Ça n'aura pas d'effet magique. Par contre, en permettant aux indépendantistes de voter librement selon leur conscience, nous mettrons fin aux guéguerres que se livrent la gauche, le centre, et la droite à l'intérieur et à l'extérieur du PQ. Nous pourrons enfin, comme on l'a déjà écrit à plusieurs reprises, sortir la question nationale de la partisannerie politique. Les Québécois verront que le mouvement indépendantiste est, et c'est comme ça depuis le début, composé de toutes sortes d'invididus qui ne pensent pas tous la même chose, mais qui s'entendent sur une façon de résoudre la question nationale. La proportionnelle permettrait à tous les courants politiques de se faire une place au sein du vaste mouvement pour l'indépendance, sans pour autant forcer qui que ce soit à sacrifier ses convictions politiques profondes. Ce simple changement aurait aussi pour heureuse conséquence de forcer le choc des idées au sein du mouvement indépendantiste, ce qui ne peut pas faire autrement que de faire avancer le débat sur une foule de questions que nous avons jusqu'ici évitée d'aborder sérieusement.
En somme, dans une coalition à plusieurs partis, nous serions libres de voter pour le parti politique de notre choix. Nous pourrions voter pour le candidat ou la candidate qui nous représente le mieux, donner notre appui aux idées politiques et sociales que nous partageons, tout en ayant l'assurance que notre action ne nuirait pas à la cause de l'indépendance.
C'est tout le contraire d'une coalition partisane comme le PQ, dans laquelle il faut demander aux uns et aux autres de mettre leurs convictions politiques de côté (ils sont trop extrémistes dit-on); il faut parfois même accepter la censure de ses idées. Il faut taire les divergences; il faut des idées populaires, pas nécessairement des idées justes; il faut faire des concessions qui n'ont pas lieu d'être; il faut laisser quelques stratèges choisir les mots et les slogans; bref, il faut souvent faire semblant qu'on est convaincu alors que l'on ne l'est pas toujours. On ne peut pas être très utile comme militant dans de telles conditions. Lorsqu'en plus on tente de réunir plusieurs individus ou groupes aux idées politiques fondamentalement opposées, c'est la pagaille qui s'installe dans la cabane. Si on accède au pouvoir, il faut suivre une ligne de parti; il faut se plier à la volonté d'un chef charismatique; Il ne faut pas rompre les rangs, il ne faut pas se diviser, il faut rester solidaire dans l'intérêt du parti. Ne sommes-nous pas supposés être solidaire dans l'intérêt supérieur de la nation québécoise?
Une libération pour le PQ
Le PQ est un parti social-démocrate. Sa clientèle véritable n'est intéressée ni à un virage à droite, ni à un virage à gauche. Il n'est pas très difficile de voir que la proportionnelle libérerait aussi le Parti Québécois, qui pourrait enfin élaborer des politiques qui lui ressemblent et cesser de vouloir plaire à tout le monde en même temps. Les autres partis politiques indépendantistes pourraient faire exactement la même chose de leur côté, tout en participant à une même coalition pour l'indépendance. Seul, le PQ n'est pas en mesure d'aller chercher le vote de la majorité lors d'un scrutin. Les sondages lui donne un appui d'environ 35% des voix, alors que l'option souverainiste frôle le 50% dans certains sondages récents. Avec la proportionnelle, le PQ sera toujours un parti indispensable, car ce sera le parti ayant le plus d'appuis qui sera appelé à former la coalition gouvernementale. Il nous faudra toujours un parti capable d'avoir plus de votes que les libéraux. Il est clair à mon esprit que seul un parti de centre-gauche peut y arriver.
Avec un peu de bonne volonté, cette coalition indépendantiste que nous envisageons pourrait voir le jour très rapidement. Il ne nous reste plus qu'à rallier le plus grand nombre personnes à l'idée que c'est à nous, les militants péquistes, d'exiger du parti qu'il effectue la reforme du mode de scrutin en échange de notre vote aux prochaines élections. Une fois le bipartisme cassé, la coalition de tous les partis indépendantistes se fera d'elle même, par nécessité, puisqu'il deviendra impossible d'accéder au pouvoir autrement.
Mathieu Gauthier-Pilote,
Membre du Parti Québécois et du RIQ
Le 29 janvier 2004