Extraits de la conférence tenue par Louis-Joseph Papineau devant les membres de l'Institut canadien, le 17 décembre, 1867.
Sur la légitimité de la constitution
[...]
Les vraies doctrines sociologiques des temps modernes se résument en peu de mots : Reconnaître que, dans l'ordre temporel et politique, il n'y a d'autorité légitime que celle qui a le consentement de la majorité de la nation; de constitutions sages et bienfaisantes que celles sur l'adoption desquelles les intéressés ont été consultés, et auxquelles les majorités ont donné leur libre acquiescement; que tout ce qui est institution humaine est destinée à des changements successifs; que la perfectibilité continue de l'homme en société lui donne le droit et lui impose le devoir de réclamer les améliorations qui conviennent aux circonstances nouvelles, aux nouveaux besoins de la communauté dans laquelle il vit et se meut.
[...]
Une génération qui a joui de l'inestimable privilège de se choisir la constitution qui lui convient le mieux, admettra volontiers et décrétera que les générations suivantes devront jouir du droit qu'elle a trouvé bon et juste de se donner à elle-même. En conséquence, à des époques fixes et rapprochées, les peuples libres auront des conventions, distinctes de leurs parlements et des autres corps législatifs ordinaires. Ceux-ci, fondés et élus par la constitution, lui doivent soumission absolue. Ils sont chargé de la maintenir intacte, de ne faire de lois que celles qui ne la violent pas. Ces peuples libres doivent avoir aussi un pouvoir judiciaire, autorisé à décider, quand la question lui est soumise, si une loi est conforme ou contraire à la constitution, pour la déclarer exécutoire si elle y est conforme, ou nulle et de nul effet si elle lui est contraire. La convention, elle, aux époques et dans les circonstances pour lesquelles elle est établie, devient l'autorité la plus importante d'un pays, sans avoir le pouvoir d'y faire la moindre loi. Elle n'a nulle autre attribution que celle d'examiner si le corps politique est demeuré sain, ou s'il est devenu malade; s'il est actuellement fort; s'il est progressif et satisfait; ou s'il existe quelque maladie qu'il soit possible à la sagesse humaine de guérir, quelque mécontentement qu'il lui soit possible de faire cesser. Sous les regards du pays entier, assistant à ses délibérations par la voie du journal quotidien, qui publie le compte-rendu de tout ce qui s'y dit, s'y propose et s'y résout, elle conclut à ce que des modifications à la constitution existante, telles qu'elle les indique, soient soumises à la considération et à la décision des citoyens. Après discussion libre, la majorité de ceux-ci décide de ce qu'elle en accepte de ce qu'elle en rejette. Le pays se donne à lui-même une constitution révisée et améliorée.
[...]
D'après ces principes trois fois saints et justes, le Canada, depuis qu'il est devenu anglais, n'a pas encore eu de constitution. Il a eu une infinie variété de formes d'administration, toutes mauvaises. Chacune et toutes ne méritent et n'obtiendront de l'impartiale histoire que le mépris pour leurs défectuosités, et que la flétrissure pour les noms des leurs auteurs, qui organisaient l'oppression des majorités par les minorités.
Sur la nationalité canadienne (devenue québécoise)
[...]
Bien aveugle sont ceux qui parlent de la création d'une nationalité nouvelle, forte et harmonieuse, sur la rive nord du St. Laurent et des grands lacs, et qui à propos ignorent et dénoncent le fait majeur et providentiel que cette nationalité est déjà toute formée, grande, et grandissant sans cesse; qu'elle ne peut être confinée dans ses limites actuelles; qu'elle a une force d'expansion irrésistible; qu'elle sera de plus en plus dans l'avenir composée d'immigrants venant de tous les pays du monde, non plus seulement de l'Europe, mais bientôt de l'Asie, dont le trop plein cinq fois plus nombreux n'a plus d'autre déversoir que l'Amérique; compose, dis-je, de toutes les races d'hommes, qui, avec leurs mille croyances religieuses, grand pêle-mêle d'erreurs et de vérité, sont toutes poussées par la Providence à ce commun rendez-vous pour fondre en unité et fraternité toute la famille humaine.
Le grand fait est trop évident sur toute l'étendue de l'Amérique et dans toute son histoire, depuis sa découverte par Colomb; il est trop inévitable, pour qu'on n'y reconnaisse point l'une de ces grandes indications providentielles que l'homme ne peut se cacher, et sur lesquelles néanmoins il n'a pas plus de contrôle que sur les lois immuables qui gouvernent l'univers physique.
On doit y voir l'enseignement divin de la tolérance universelle et de la fraternité du genre humain.
Sur cette base solide, l'homme du Nouveau-Monde, qu'il soit homme d'état, philosophe, moraliste, ou prêtre, doit asseoir la société nouvelle et ses nouvelles institutions.
La patrie n'aura de force, de grandeur, de prospérité, de paix sérieuse et permanente, qu'autant que toutes ces divergences d'origines ou de croyances s'harmoniseront et concourront ensemble et simultanément au développement de toutes les forces et de toutes les ressources sociales.
Ce noble programme que vous avez affiché et qui vous a attiré de l'opposition de la part de ces ennemis de la raison et de la pensée qui ont souhaité la dispersion de l'Institut et de ses livres, doit rallier autour de vous l'appui et le bon vouloir de tous les citoyens instruits et éclairés, de tous les patriotes qui désirent vraiment le bonheur et la grandeur de notre commune patrie, à nous tous Canadiens natifs et d'adoption.
Cet appui, vous le méritez. Vous l'avez conquis; il vous restera, je n'en doute pas, et personne ne saurait s'en réjouir plus que je le fais.
[...]